Ibyivugo
Les devoirs de l’armée vis-à-vis du pays
Alexis Kagame , Le code des institutions politiques (Bruxelles: S.N., 1952 pp.51-72)
TABLE DES MATIERES
- A. Les pouvoirs militaires du chef patriarcal
- B. Le cantonnement dans les camps des marches
- C. La guerre officielle et le commandant suprême des armées
- D. Mode de mobilisation et de ravitaillement
- E. Cérémonie de guerre à la Cour.
- F. Organisation de la bataille et de la razzia
- G. Fin des hostilités et défilé préliminaire des armées
- H. Défilé solennel de la victoire.
(KAMANANGA, fils de Sebajura, aussi bien grand guerrier que spécialiste de renom en Poèmes guerriers Héroiques)
(Photo V. de Decker)
A. Les pouvoirs militaires du chef patriarcal
de Rwabugiri." align="center" src="//www.olny.nl/RWANDA/Archives/rwabugiri.jpg" width="100" height="140">
Portrait présumé de Rwabugili, roi guerrier sous lequel 15 expéditions officielles eurent lieu.
Source: http://www.
benjaminsehene.com/
histoire.htm
Pour enrôler les jeunes dans ses compagnies ainsi que pour mobiliser ses guerriers en cas d’expéditions, le chef d’armée doit toujours s’adresser aux différents chefs des parentèles et ne jamais se mettre en rapport direct avec leurs subordonnés;…
Si un membre de la parentèle refuse obéissance à son patriarche en cette matière, ce dernier pourra le déposséder des bovidés dits du Roi et par le fait même le chasser de l’armée…
Les vaches ainsi saisies de deviendront pas la propriété du chef de parentèle ; celui-ci les devra donner à un jeune homme de sa famille qu’il présentera au chef d’armée pour remplacer le foyer dont aurait frustrée la milice.
Cette prescription a été faite pour freiner la rapacité éventuelle des chefs patriarcaux qui n’auraient pas manqué de susciter la mésentente entre eux et leurs parents pour s’enrichir de leurs dépouilles.
Si le guerrier congédié de l’armée était détenteur de vaches obtenues en Contrat de Servage Pastoral (et donc indépendantes du chef patriarcal), il devenait par le fait même membre de l’armée à laquelle appartenait son suzerain vacher.
S’il n’est pas lié à un suzerain vacher, il était incorporé dans l’armée dont était membre celui qui lui donnait la première vache, dite du feu. [1]
- Le cantonnement dans les camps des marches
Toutes les frontières du Rwanda sujettes aux incursions armées de l’étranger sont confiées à la garde permanente des milices sociales. [2]
Chaque armée s’établit alors définitivement, du moins dans sa grande majorité, dans la province couvrant en profondeur la portion de frontière commise à sa garde permanente.
Dans le voisinage immédiat de la frontière, elle doit établir un camp militaire sérieusement fortifié, abritant les guerriers officiels que l’armée y maintient.
Cette troupe d’élite doit être prête à soutenir l’attaque éventuelle de l’ennemi, en attendant que la province puisse lui envoyer du renfort.
Le camp des marches (urugerero) sera entouré d’une clôture dense formée de plusieurs lignes de haies et, au besoin, cette clôture sera cernée d’un fossé large et profond. [3]
Le camp d’aura que deux entrées, l’une donnant vers le pays étranger, et l’autre vers le Rwanda.
Les habitations des guerriers seront construites à l’intérieur de l’immense enclos.
Pour éviter la surprise d’une attaque nocturne contre le camp, les compagnies y cantonnant feront la sentinelle à l’extérieur de la clôture, à tour de rôle.
Cette garde nocturne du camp appelée Igico (embuscade) doit se faire en silence et les guerriers de faction doivent se placer par groupes aux endroits assignés à la sentinelle tout autour du camp.
Chaque camp aura un tambour pour donner le signal d’alarme en cas d’attaque ennemie.
Au signal du tambour, tous les guerriers membres de l’armée habitant la province des marches, doivent se porter au secours du camp.
Tous les jeunes gens en formation dans les compagnies seront envoyés dams les camps des marches tenus par leurs armées respectives. Ils y seront placés à l’âge d’environ 20 ans, mais avec des compagnies déjà aguerries, qui les initieront au métier des armes.
Quant aux compagnies de la Cour, elles seront placées dans le camp de la frontière faisant face au camp des compagnies royales de l’étranger, s’il y en a un. [4]
Lorsque la marche confiée à telle ou telle armée est pacifiée (…), ses compagnies seront, dans toute leur totalité, disponibles pour les expéditions ordinaires décrétées par la Cour.
Le chef d’armée sera remplacé, dans le commandement permanent de la frontière par un lieutenant, brave et prudent, portant le titre de Umutware w’urugerero (chef du camp des marches).
Il aura sous ses ordres des fonctionnaires subalternes, portant le titre de Abarwanisha (directeurs des combats), placés à la tête des compagnies.
Si les membres des compagnies n’ont pas des Batware b’itorero ( …) jouant le rôle des Barwanisha, le chef du camp nommera les lieutenants de son choix.
On appellera dans les camps des marches tous les guerriers capables de porter les armes, à tour de rôle dans chaque parentèle, même si ces mobilisés n’avaient pas été formés dans les compagnies officielles ; … C’est parmi ces derniers que l’on choisira les groupes de factions nocturnes (…) de préférence aux combattants officiels qui doivent être réservés en vue d’éventuelles batailles rangées.
- La guerre officielle et le commandant suprême des armées
Le principe essentiel de la société rwandaise étant d’unifier tous les pays sous le Roi unique de la dynastie des Banyiginya, on ne peut jamais avoir la paix définitive avec les pays voisins.
Dans certaines circonstances, le Roi peut conclure des pactes de non-agression (Imimaro) avec l’un ou l’autre pays, afin de disposer de toutes ses milices contre un seul adversaire. [5]
Il existe avec le seul Karagwe, une promesse inviolable de non-agression, parce que ce royaume, en de mauvais jours, a donné asile au future Ruganzu II Ndoli, restaurateur de la dynastie.
Cet engagement du Rwanda prendrait fin, si le Karagwe lui-même ouvrait les hostilités contre son allié. [6]
Le Rwanda doit mettre toutes ses armées à la disposition du Karagwe, si ce royaume était attaqué et réclamait du secours.
Les relations avec les étrangers sont réservés au Roi seul, et tous les chefs des marches doivent en référer à ses décisions, si l’étranger manifestait le désir de traiter avec le Rwanda. [7]
C’est un crime punissable toujours de la peine capitale d’entrer en relation avec une Cour étrangère à l’insu du Roi.
Tous les commandements des marches doivent disposer d’un nombre suffisant d’espions qui les mettent au courant des agissements et de l’état du pays d’en face. Ces espions ( Abatasi) seront considérés comme vassaux immédiats de la Cour.
Aux seuls espions il est permis de passer la frontière à leur guise et de se mettre en relation avec les étrangers et même avec les Cours étrangères elles-mêmes, s’ils le peuvent. Il est entendu qu’ils se présenteront sous le prétexte de révéler ce qui se passe dans le Rwanda, car cette trahison trompeuse les mettra à même de se renseigner à de bonnes sources.
Cependant tout espion, avant d’entrer en charge devra prêter serment, par l’absorption du Gihango, de ne trahir le Rwanda que sur des points accessoires et de rapporter des renseignements plus importants sur l’ennemi. [8]
Dès son retour dans le pays, l’espion sera régulièrement envoyé à la Cour, soit par le chef d’armée, s’il se trouve à la frontière, soit par le chef du camp de la marche.
Tous les espions des marches faisant face à telle région donnée seront convoqués à la Cour en même temps que leurs chefs d’armées, dès que le Roi sera sur le point de décider une expédition militaire dirigée contre le pays en question.
Les expéditions guerrières sont de deux sortes : l’expédition officielle (Igitero) et l’incursion armée (agatero-shuma)
L’expédition officielle est celle qui, étant décidée par le Roi en tant que Souverain du Rwanda, est dirigée par un général d’expédition (Umugaba w’igitero) et accompagnée du cérémonial prévu dans le code ésotérique pour le temps de guerre (Inteko y’ingabo).
L’incursion armée est toute expédition décidée soit par le Roi en privé, soit par un commandant des marches pour atteindre un objectif limité et cela pour un laps de temps ne dépassant pas la durée de deux jours.
Les expéditions officielles engagent l’honneur du pays tout entier tandis que les incursions armées engagent la responsabilité de celui qui les décide.
Le général d’expédition est désigné par les aruspices de la Cour à la suite de consultations divinatoires, déchiffrées dans les viscères de taureaux ou de béliers.
Le général d’expédition peut ou non être un chef d’armée et appartenir à n’importe quel clan.
S’il est chef d’armée, sa propre milice devra combattre sous les ordres de son lieutenant.
La désignation divinatoire est souveraine ; il n’est donc pas nécessaire que l’élu soit doué de qualités guerrières : il n’est qu’un porte chance associé aux opérations militaires.
Toute expédition guerrière ne réalisant [as les conditions mentionnées (…) restera toujours incursion armée nonobstant le fait qu’elle serait dirigée par le roi en personne.
Le général d’expédition est un suppléant du Roi et partant jouit de toutes les prérogatives et de tous les pouvoirs royaux. Il juge sans appel toutes les causes qui lui sont soumises en cours de route et il a le privilège exceptionnel de condamner à la peine capitale. [9]
Toutefois le général d’expédition doit user discrètement de tous les pouvoirs qui lui sont transitoirement concédés pour ne pas se créer d’irréductibles inimitiés pouvant aboutir à de terribles vengeances par des voies détournées.
Le Roi ne peut exercer le commandement suprême d’une expédition en qualité de général mais il peut y prendre part en tant que simple chef d’armée à la t6ete de la sienne, dirigée en sous-ordre par le préfet du Palais Royal.
Cette possibilité de prendre part aux expéditions militaires n’est reconnue qu’aux rois qui ont titre de conquérants (…) à savoir Mibambwe et Kigeli.
Quant aux rois pasteurs, Cyilima, Mutara et Yuhi, les ils ne peuvent, en aucun cas, s’associer aux expéditions guerrières (…)
Le général d’expédition porte, comme nom royal, les noms de règne et de famille du Roi ancien patronnant l’expédition, qu’auraient désigné les dépositaires du code ésotérique. [10]
Si le Roi prend part à l’expédition parmi les chefs d’armées escortant le général, les tambours ne battront pas en l’honneur de ce dernier au lever ni au coucher, toutes les fois qu’il passera la nuit dans la même localité que le Roi.
Dans toutes les régions où passera le général d’expédition, les chefs devront organiser en son honneur le défilé de toutes les vaches de leur commandement, comme l’exige la coutume en l’honneur du Roi, suzerain universel du pays ;…
En tous les lieux honorés de l’hospitalité du général d’expédition, on lui offrira le lendemain matin une vache mère d’un taurillon, comme la coutume l’exige en pareil cas au passage du Roi ; …
Lorsque le Roi a reçu l’hospitalité dans la même localité que le général d’expédition, ils recevront chacun le même cadeau de bienvenue imposé par la coutume.
- Mode de mobilisation et de ravitaillement
Le Roi peut convoquer aux armes un certain nombre seulement de chefs d’armée ou proclamer la mobilisation générale de toutes les milices du pays. Dans l’un et l’autre cas, il imposera un nombre restreint de compagnies officielles par armée, de manière à laisser quelques autres en réserve, en vue d’expéditions ultérieures.
Les guerriers ainsi mis en réserve sont libres de prendre part à l’expédition ; mais ils doivent être prêts à répondre à la mobilisation suivante , lorsque viendra le tour officiel de leurs compagnies respectives. C’est aux patriarches des parentèles qu’il revient de régler le départ de leurs subordonnés à tour de rôle ; …
Au moment de la mobilisation, tous les vassaux doivent se grouper autour de leurs chefs d’armée et ne plus s’occuper de leurs suzerains vachers, ni des liens contractés en Servage Pastoral auprès du Roi.
Seuls les guerriers mis en réserve et dont les « arcs » ne comptent pas officiellement pour l’expédition, sont libres d’accompagner leurs suzerains vachers. C’est donc en ce cas que les vassaux vachers de la Couronne peuvent escorter le Roi ou le préfet du Palais Royal.
A côté des combattants officiellement convoqués par appel des compagnies aux armes, les chefs d’armée mobiliseront un très grand nombre de porteurs de vivres, également recrutés à tour de rôle et toujours par parentèles parmi les Bahutu de leurs milices respectives. Ces porteurs arriveront chacun avec une charge, soit de haricots, soit de petits pois, soit de sorgho, soit d’éleusine, ou de farine.
Ces denrées serviront à ravitailler ces mêmes auxiliaires durant le trajet des armées encore à l’intérieur du Rwanda afin que les régions qu’ils traversent n’aient pas à souffrir de leur passage. Quant aux guerriers officiels, il est bien entendu qu’ils se chargent de leur propre ravitaillement, chacun d’eux disposant d’un nombre suffisant de vassaux.
Le Roi pourra autoriser les armées à se ravitailler aux dépens de telle ou telle région du Rwanda qu’elles auront à traverser, pour en châtier les habitants insoumis ou turbulents, afin de donner un crainte salutaire à ceux qui seraient tentés de se montrer indisciplinés dans leur propre région.
Une fois passée la frontière du Rwanda, ces auxiliaires Bahutu formeront des compagnies irrégulières, appelées Ibitsembanyi (sans-discipline), charger d’aller piller à la ronde les denrées dont leurs armées respectives auront besoin. Ils seront armés d’un arc et d’un javelot et leurs chefs respectifs auront la précaution de leur adjoindre des compagnies officielles aguerries pour les protéger, le cas échéant, durant leurs incursions en quête de ravitaillement.
Arrivé à la frontière du Rwanda, le général d’expédition tiendra conseil avec les chefs d’armée afin que soit indiquée à chacun la voie que suivra la colonne dont ses guerriers feront partie. Le conseil se tiendra en présence des espions ayant sillonné la région à envahir.
Suivant les informations fournies par les espions, les colonnes seront groupées de façon à renforcer les armées destinées à rencontrer, suivant les informations, plus de difficultés que les autres. Chaque colonne sera guidée par au moins un espion de la région.
Il n’est pas nécessaire que le général d’expédition fixe son Quartier général (Inteko) à l’étranger ; il peut l’établir au Rwanda lorsque les guerriers opèrent dans le voisinage de la frontière. Le Quartier général doit être gardé par une ou deux armées, ou même par quelques compagnies seulement, suivant qu’il y a lieu ou non de craindre une surprise ennemie.
Quelques jours avant l’ouverture des hostilités, le général d’expédition enverra un groupe de messagers à la Cour, leur indiquant les étapes précises qu’ils devront couvrir en un temps déterminé, de manière qu’ils atteignent la résidence royale la veille des premiers combats. Les messagers sont envoyés nombreux, afin que s’il s’en trouve un qui tombe malade, les autres puissent effectuer dans faute l’itinéraire imposé.
- Cérémonie de guerre à la Cour.
Le mwami (ici Musinga) dans sa hutte royale de Nyanza, entouré de ses proches conseillers, les Abirus. Source: http://www.
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L’aube du jour des hostilités, le Roi et sa mère devront s’astreindre au cérémonial du temps de guerre prévu dans le code ésotérique (voie offensive) ; du lever du soleil à son coucher, ils devront siéger immobiles sur les trônes des armées sans tourner la tête ni à droite ni à gauche, ni surtout en arrière, mouvement qui provoquerait la fuite des guerriers. Le général d’expédition doit s’astreindre au même cérémonial en son Quartier général. Les chefs d’armée assistant au combat doivent également accomplir le même cérémonial, au milieu des compagnies tenues en réserve ; mais le cérémonial ne les lie qu’aussi longtemps que dure la bataille.
Bien plus, à la Cour, les taureaux de règne doivent être nourris à l’intérieur de l’enclos où trône le Roi. Des fonctionnaires en nombre suffisant doivent les entourer pour les caresser et en éloigner les mouches, afin de les tenir dans la plus grande immobilité. [11]
Durant tout le temps de l’expédition, on entretiendra un foyer permanent dans le même enclos où, du matin au soir, le Roi accomplit quotidiennement le cérémonial et où sont gardés lesdits taureaux. Ce foyer des armées sera alimenté d’herbes qu’auront cherchées les femmes des environs, suivant un cérémonial déterminé, aux accents de l’hymne national, sous la présidence d’un fonctionnaire de la section des Bunyampumbya.[12]
Le Karinga, tambour emblème de la dynastie, trône également pour les armées dans une position inaccoutumée, suivant les prescriptions du code ésotérique (voie offensive).
Si le Roi a pris part à l’expédition, la Reine mère exécute le cérémonial dans la résidence où se trouve le Karinga. A son défaut, la reine mère adoptive ; à défaut de celle-ci, la Reine mère co-régnante ; à son défaut, le Karinga seul. [13] Dans ce cas, le Roi n’est nullement obligé au cérémonial, pas même en tant que chef d’armée privé, sur les champs de bataille où il est remplacé par le préfet du Palais Royal, chef immédiat de la milice palatine.
- Organisation de la bataille et de la razzia.
Chaque expédition officielle s' accompagnait de razzia. Les armées ramenaient des troupeaux entiers au Rwanda, et étaient même récompensées avec ces mêmes vaches.
Avant le combat les chefs d’armée désigneront parmi leurs subordonnés respectifs quelques centaines de guerriers, chargés de s’emparer des bovidés à razzier, de les garder et de les acheminer vers leurs camps. Ces guerriers, en plus de leurs arcs, seront armés de bâtons, d’où leur titre de bâtonnistes (Abakoni).
Il ne sera permis aux guerriers non bâtonnistes de se livrer à la razzia que lorsque les chefs d’armées auront constaté l’absence de combattants ennemis ; dans le cas contraire, leur devoir est de mettre ces derniers dans l’impossibilité d’atteindre les bâtonnistes. [14]
Les compagnons des combattants officiels …peuvent faire du butin sous le couvert de leurs maîtres. Cela n’est évidemment possible que lorsque leurs maîtres sont suffisamment escortés par une partie de leurs co-vassaux.
Une fois rentrés dans le camp, ils feront défiler devant leurs maîtres respectifs, les vaches saisies en butin à l’heure du combat. Le maître en donnera au moins une unité à chacun de ses vassaux razzieurs au titre de ingororano et ira faire défiler le reste devant le chef de l’armée ;… Ce dernier en prélèvera un certain nombre au titre de intorano (…) comme droit de l’armée et abandonnera le reste entre les mains du guerrier. Sur les intorano prélevées, le chef de l’armée prendra une vache qu’il donnera au même guerrier au titre de Ingororano (prix de bravoure).
Si le guerrier favorisé par cette saisie de butin a pris part à l’expédition aux côtés du suzerain vacher (…), ce n’est pas à lui, mais à son chef d’armée qu’il ira exhiber le fruit de son « arc ». Si le chef de son armée n’a pas pris part à l’expédition (…), le guerrier pourra alors seulement présenter le butin à son suzerain vacher, qui remplacera le chef militaire absent.
Les vaches saisies en butin, font toujours partie de celles dites du Roi (…) alors même que la razzia se serait accomplie sous le commandement du suzerain vacher. Le butin saisi par les bâtonnistes n’appartient à personne en particulier : l’armée fait du butin au nom du Roi, auquel il appartient de décider de la part à donner individuellement aux guerriers, par ordre de mérite.
- Fin des hostilités et défilé préliminaire des armées.
Dès que toutes les colonnes d’invasion seront de retour au Quartier général, le commandant en chef de l’expédition enverra un messager à la Cour, appelé uwo kwahura imfizi (pour faire pâturer les taureaux), chargé d’annoncer la cessation des hostilités et de mettre fin au cérémonial du temps de guerre. Il est absolument interdit à ce messager de dire la moindre chose au sujet de l’expédition, en dehors de sa seule mission de laisser les taureaux de règne aller pâturer.
Entre-temps, chaque armée présentera au général d’expédition un ou deux guerriers qui s’exerceront à débiter de mémoire les hauts faits de leurs milices respectives. La leçon sera plusieurs fois déclamée devant l’assemblée des chefs d’armée. Ces guerriers porteront le titre de narrateurs des javelines et seront envoyés à la Cour pour débiter leurs discours devant le Roi ou devant ses remplaçants (…), dans la localité où se trouve le Karinga, et où s’est déroulé le cérémonial du temps de guerre.
Pour être narrateurs des javelines, il faut réaliser les conditions suivantes : avoir tué au moins un ennemi durant l’expédition, avoir une bonne mémoire, la parole facile et n’être pas adonné aux boissons.
Durant le trajet du Quartier général à la Cour, les narrateurs des javelines seront escortés d’hommes de confiance qui les obligeront à boire du lait à intervalles rapprochés ; autrement les délégués des armées risqueraient d’avoir soif et de prendre, à la dérobée, des boissons enivrantes. Il est interdit aux narrateurs des javelines de parler à qui que ce soit de l’expédition en cours avant d’en avoir longuement donné connaissance au Roi. [15] S’ils oubliaient cette discrétion, on dirait qu’ils ont brisé les javelines des armées. Celles-ci se verraient refuser le cérémonial du triomphe, subissant la disgrâce encourue par leurs délégués.
Une fois partis les narrateurs des javelines, les armées se déplaceront à leur suite, par petites étapes et viendront fixer leurs camps aux environs de la capitale.
Les guerriers vassaux de la Cour pourront être autorités à quitter les camps pour se rendre auprès du Roi, mais ils le feront incognito, ne parlant jamais de l’expédition et le Roi les recevra comme s’ils n’y avaient pas pris part. Les chefs d’armée n’accorderont cette autorisation qu’à de rares guerriers, dont la discrétion est hors de doute. Jusque là, en effet, la Cour ne saura que les hauts faits déclamés par les narrateurs des javelines devant le Roi, sans autres détails.
Le Roi communiquera finalement au général de l’expédition la date à laquelle aura lieu le grand défilé de la victoire, afin que les guerriers s’y préparent. Les chefs d’armée n’ayant pas pris part à l’expédition seront alors présents à la Cour pour rehausser les solennités en vue.
Si le Roi avait pris part à l’expédition, il se serait rendu à la capitale pour organiser la réception des armées.
L’avant-veille du grand défilé, toutes les armées exécuteront le défilé préliminaire (Uguhisa : faire passer), procession faisant le tour complet de la capitale par groupes de cinquante guerriers, tenant toutes les javelines sur l’épaule droite et déclamant les odes guerrières. Cette procession terminée, les guerriers retourneront dans leurs camps, sans qu’il leur soit permis de parler aux hommes réunis à la Cour.
- Défilé solennel de la victoire.
Le lendemain de ce défilé préliminaire, tous les guerriers doivent s’enduire de kaolin, des pieds à la tête. Ceux qui auront tué au moins un ennemi durant l’expédition, ont recourbé le fer supérieur de leurs javelines, afin que le public puissent les reconnaître à ce signe.
Au jour solennel du grand défilé de la victoire, toutes les armées se mettront en mouvement vers la résidence royale en liesse et se tiendront dans son voisinage immédiat. A la batterie du tambour des audiences, elles feront leur entrée groupées armée par armée et compagnie par compagnie. Elles défileront devant le Roi entouré de ses chefs.
En cette solennité, les chefs d’armée auront la tête ceinte de la couronne des armées, insigne de leur dignité, consistant en une peau de colobe, retombant sur la nuque.
Si l’expédition a coûté la vie à un roi étranger ou à un roitelet indépendant, son trophée précèdera les armées, porté dans un panier, suivant le cérémonial prescrit par le code ésotérique de la dynastie (voie du trophée).
La nuit, le Roi commencera la série des veillées des hauts faits. Le général de l’expédition ouvrira la séance par la déclamation de ses propres gestes qu’il fera suivre de l’historique de la campagne dirigée par lui. Il détaillera le récit depuis le jour de sa désignation jusqu’à celui du défilé de la victoire. Son exposé achevé, il déposera la couronne des armées et perdra les pouvoirs et privilèges royaux.
Cette première nuit sera consacrée aux hauts faits de l’armée personnelle du Roi, à la tête de laquelle se trouvera le préfet du Palais Royal. Les nuits suivantes, ce sera la réception successive de toutes les armées, les héros de chacune déclamant leurs hauts faits devant le Roi, à la suite de leurs chefs respectifs. Une fois terminées les réceptions nocturnes pour veillées de hauts faits, on peut révéler les détails de l’expédition et divulguer les noms de ceux qui auront fait preuve de lâcheté, etc.
Notes
-
- Lorsque tel Rwandais était dépossédé de ses vaches par quelque autorité compétente, il était astreint à un cérémonial de deuil: ne pouvant ni se faire raser, ni tailler ses ongles, ni accepter en cadeau une vache. Il restait dans cet état d’humilié, jusqu’au moment où il recevait une vache soit de son chef antérieur dont il aurait capté à nouveau les faveurs, soit de quelque autre grand personnage du rang de ce dernier. Cette vache est appelée du feu (y’umuliro) parce qu’elle autorisait l’investi à pouvoir allumer le foyer pastoral (…) qui lui était interdit en l’état de destitué. Cette investiture de la vache du feu mettait fin au deuil et l’intéressé pouvait recevoir des cadeaux bovins de ses amis, compensant la perte du cheptel dont il avait été dépossédé.
- C’est ainsi que toutes les provinces du territoire d’Astrida qui bordent la frontière du Burundi sont dénommées par les armées qui protégeaient ces zones: Ndara, Mvejuru, Bashumba, Nyakare, Nyaruguru; auxquelles il faut ajouter Biru et Mpara dans le territoire de Cyangugu. Notons ici en passant notre Cyangugu, terre saline, devenue pour l’administration européenne Shangugu, gazelle saline!!!
- On parle de ces fossés larges et profonds, dans lesquels on plantait des pieux, surtout du temps de Cyilima II Rujugira, septième ancêtre du Roi actuel, qui inaugura l’organisation de ces camps de marches.
- Ce cas ne se réalisait pratiquement sous les derniers règnes que pour la frontière du Burundi, où le camp de Nyaruteja, situé non loin de la Kanyaru sur la route Astrida-Ngozi, faisait face aux compagnies correspondantes à celles du Roi du Sud, qui campaient au-delà de la rivière.
- Ces pactes de non-agression furent inaugurés par Mutara I Semugeshi, au XVIème siècle: il contracta le premier avec le Roi Mutaga II du Burundi. Son fils Kigeli II Nyamuheshera compléta ce pacte en pratiquant la même politique vis-à-vis du Gisaka et du Ndorwa. Cette ère de paix entre les quatre royaumes hamites fut rompue par Ntare III Kivimira du Burundi qui inaugura l’ère des guerres permanentes sous Yuhi III Mazimpaka et son fils Cyilima II Rujugira. Vers la fin de son règne, aux environs de 1886, Kigeli IV Rwabugili conclut, avec Mwezi IV Gisabo du Burundi, un pacte similaire qui ne dura guère, rompu qu’il fut par le prince Muhigirwa, chef à la frontière des Nyaruguru.
- Lorsque Kigeli III Ndabarasa vainquit le Mubali, le Roi de ce pays, appelé Biyoro, se réfugia auprès de Ndagara, Roi du Karagwe, Kigeli envoya auprès de ce dernier une délégation chergée de réclamer l’extradition du fugitif. Si Ndagara s’y refusait, le pacte traditionnel serait par le fait même révoqué. Ndagara s’exécuta immédiatement en livrant son hôte. Une autre fois, Kigeli III demanda à Ndagara qu’ordre fût donné pour tout le Karagwe de ne plus allumer le foyer pastoral le matin, parce que la fumée qu’il observait à cette heure lui rappelait qu’il existait un pays où il lui était défendu de faire des razzias. Ndagara lui répondit: “Votre désir sera suivi, non pas le matin seulement, mais même le soir si cela peut vous être plus agréable!”
- Trois fois dans l’histoire de notre pays, un roi étranger a pu traiter directement avec celui du Rwanda; à savoir Mutara I Semugeshi avec Mutaga II du Burundi; son fils Kigeli II Nyamuheshera avec Kimenyi III Rwahashya du Gisaka; et enfin Kigeli III Ndabarasa avec Kimenyi IV Getura du Gisaka; cette dernière rencontre eut lieu en pleine ère de guerres. Pour les autres entrevues, les rois traitaient par l’intermédiaire des chefs délégués à cet effet. – Sous Kigeli IV rwabugili, un prince indépendant de la frontière sud-est du Rwanda se permit de venir traiter avec Kabaka fils de Kayagiro, alors chef de l’armée Abarasa en même temps que préfet du sol et des pâturages du Gisaka (formant le district de Sakara). Comme le chef n’avait reçu aucune instruction pour cette entrevue, il arrêta l’étranger imprudent et avertit la Cour. La réponse du Roi fut que l’étranger devait être exécuté, comme prince d’un territoire limitrophe n’ayant pas reconnu l’autorité du Souverain du rwandais. Il n’en aurait pu être autrement: si le chef Kabaka avait laissé partir son hôte, il aurait été exécuté lui-même comme traître à la cause du Roi, auquel revient le droit exclusif de régler les relations du pays avec les étrangers.
- Igihango est une mixture de plusieurs matières, mystérieusement confectionnée par une section des dépositaires du code ésotérique de la dynastie. L’absorption en était accompagnée de formules comminatoires, détaillant les peines dont le récipiendaire serait la victime par le seul fait de sa félonie, sans qu’il y eût nécessité de quelque autre intervention humaine. Les espions quittaient le pays sous le prétexte de commerce; une fois arrivés sur le territoire ennemi, ils se faisaient passer pour informateurs bénévoles et traîtres à leur pays. Et sous ce couvert, ils observaient et rapportaient les renseignements dont le Roi avait besoin. Par exemple, les régions du pays étranger où abonde le gros bétail, celles défendues par des guerriers de valeur, les zones difficilement attaquables à cause de grosses rivières et éventuellement les projets d’attaque que tel roi méditerait contre le Rwanda.
- La coutume reconnaissait à chacun le droit de tuer le meurtrier de son parent et à tous, celui d’empaler, dans certaines circonstances, les voleurs de vaches; et surtout celui de lyncher tout empoisonneur dès qu’il était découvert, pour crime de malfaisance publique, de menace pour les vivants. Mais personne en dehors de ces cas, ne pouvait livrer un homme au bourreau en vertu d’une sentence judiciaire. Lorsque telle famille était trop faible pour venger le meurtre don’t l’un de ses membres avait été la victime, il fallait recourir au tribunal du Roi qui pouvait condamner le meurtrier appartenant à une trop puissante parentèle.
- Les dépositaires du code ésotérique désignent toujours, comme patron de l’expédition officielle, les monarques anciens qui ont pu remporter la victoire contre le pays visé. Voici la liste des généralissimes de toutes les grandes expéditions du règne de Kigeli IV Rwabugili. Je donne d’abord le nom de règne, puis celui de famille du monarque patron, suivi du nom du général, écrit en majuscules:
- L’expédition dite de Mirama, à la frontière du Nkore: Kigeri III Ndabarasa RUBUGA (fils de Senyamisange);
- L’expédition dite de Nyirakigeli(parce que dirigée par la Reine-mère pendant la minorité de Kigeli IV) décidée contre l’Ijwi: Yuhi IV gahindiro NZIRUMBANJE (fils de Mitali);
- L’expédition dite des eaux, contre le Nkore et les régions du Lac Edouard: Yuhi IV Gahindiro RWAMPEMBWE (fils de Nkusi);
- L’expédition dite de Humure (localité du Buganza-nord, d’où les armées furent rappelées à la Cour et démobilisées): Kigeli III Ndabarasa RUVUZACYUMA (fils de Semuzigura);
- L’expédition dite du Bumpaka: Ndoli-Kigeli IKINANI (fils de Ndoli); remarquez le patronage de l’expédition: le nom de règne du grand Ruganzu II Ndoli ne peut être porté par aucun autre; les fonctions dynastique attachées à cette appellation ont été liées à celle de Kigeli: les deux noms sont dynastiquement homonymes. Ce fut le motif pour prendre le nom de famille de Ndoli et lui accoler le nom dynastique de Kigeli III Ndabarasa, qui furent imposés ensemble à Ikinani, fils d’un autre Ndoli, descendant de Kigeli III Ndabarasa;
- L’expédition dite de mu-Lito au Burundi, territoire de Muhinga: Cyilima II Rujugira NDIBYALIYE ( fils de Mbagaliye);
- L’expédition dite du Butembo, au delà du Gishali, au Congo Belge: Cyilima II Rujugira RUDAKEMWA (fils de Sakufi);
- L’expédition dite de Kabego, la deuxième dirigée contre l’île Ijwi et qui coûta la vie au roitelet insulaire: Yuvi IV Gahindiro NDIBYALIYE (le même qu’au 6-);
- L’expédition dite de Gikore, dirigée contre les chefs du territoire actuel du Kigezi et du Mpororo: Kigeli III Ndabarasa RUDAKEMWA (le même qu’au 7-);
- L’expédition dite de Buntubuzindu, au Bushi: Mibambwe I Mutabazi NDIBYALIYE (le même qu’aux 6- et 8-);
- L’expédition dite de Kanywilili, non loin de la ville actuelle de Bukavu: Mibambwe I Mutabazi ZIMURINDA (fils de Semulima…);
- L’expédition dite de Nkundiye, la troisième dirigée contre l’île Ijwi: Yuhi IV Gahindiro GIHANA (fils de Balikage);
- L’expédition dite du Bushubi, pays devenu Ussuwi des swahilisants, au Tanganyika territory: Kigeli III Ndabarasa SERUZAMBA (fils d’Ikinani, celui du 5-);
- L’expédition dite de Kidogoro, au Bushi: Mibambwe I Mutabazi KARARA (fils de Kigeli IV Rwabugili);
- L’expédition dite de Imigogo (c-à-d forces armées en la langue du Nkore), parce que les armées de ce pays ( Imigogo) avaient envahi le Rwanda et incendié le chef-lieu du district de Rutaraka, non loin de Nyagatare, à la frontière nord-est ; la toute dernière du règne dirigée par deux généraux: Kigeli III Ndabarasa NYAMUHENDA (fils de Kajeje) premier généralissime, et Mibambwe I Mutabazi RUVUZACYUMA (le même qu’au 4-).
- Une section des dépositaires du code ésotérique était chargée des vaches dynastiques, à savoir l’armée bovine créée par Gihanga, le fondateur de la lignée. De ces vaches on devait choisir des taureaux dits de règne, parce qu’on les intronisait suivant un cérémonial spécial du code ésotérique. Ces taureaux portaient des noms de règne, et lorsque l’un d’entre eux crevait, le Roi en faisait introniser un autre.
- Ce chant intitulé Tubarusha Umwami (Mieux que vous nous avons un Roi), correspond réellement aux hymnes nationaux des pays civilisés et les indigènes disent explicitement que c’était le chant officiel du Rwanda. Les refrains sont encore connus partout dans les régions où le Roi passait ces derniers temps, parce les foules allaient à sa rencontre et l’escortaient avec des chants. En temps de guerre, on le chantait en alternant, les chantres interpellant tour à tour les pays étrangers alentour et la nombreuse assistance répondant par le refrain de la manière suivante:
Hé! Vous habitants du Nkore!
Mieux que vous nous avons un Roi d’une dignité sacrée!
Mieux que vous nous avons un Roi doué de hardiesse!
Mieux que vous nous avons un Roi qui dirige les armées!
Mieux que vous nous avons un Roi qui les ramène!
Mieux que vous nous avons un Roi, ô poltrons!
- Lors de la dernière expédition officielee, dirigée contre le Nkore, par Kigeli IV Rwabugili (celle dite de Imigogo) en 1884, le cérémonial se déroula à Gatsibo, sous la direction du fonctionnaire appelé Rukaburanti (père de l’actuelle Engelbert Kamugunga, sous-chef dans la province du Marangara).
- Le code ésotérique défend d’introniser un roi orphelin; dans le cas où le prince héritier a perdu sa mère, on l’intronise avec une reine mère adoptive; cela eut lieu sous Ruganzu II Ndoli, Cyilima II Rujugira, Kigeli III Ndabarasa et Mibambwe IV Rutarindwa, qui succomba à la coalition contre lui suscitée par sa mère dynastique. – Quant au cas des reines mères co-régnantes, le code ésotérique en prévoyait d’office sous les rois aux appellations de Cyilima et de Kigeli vers la fin de leur règne. En plus de ces cas, Yuhi III Mazimpaka eut un co-régnant, intronisé par les dépositaires du code ésotérique, en vue d’assurer le gouvernement du pays, car son père souffrait d’une folie intermittente. Lors de la dernière expédition officielle de 1884, ce fut la Reine mère co-régnante pour Kigeli IV Rwabugili et adoptive pour Mibambwe IV Rutarindwa, qui exécuta le cérémonial aux côtés du Karinga, à Gatsibo: Kigeli IV, et son co-régnant Mibambwe IV, avaient pris part à l’expédition.
- Cette détermination de la tâche entre bâtonnistes et batailleurs est une spécialité de l’armée du Rwanda; les guerriers des pays environnant pouvaient battre les nôtres, mais le butin était régulièrement fait par nos bâtonnistes.
- C’est auprès des narrateurs des javelines que les mémorialistes de la Cour recueillent les récits formant actuellement l’histoire orale du Rwanda.
- Cette couronne des armées dont se coiffaient les chefs en pareilles solennités m’a été décrite par plusieurs informateurs; mais certains vieux ne s’en souviennent pas. Notons qu’elle était portée par les chefs d’armée que dans le langage technique on appelait Ibikobo, c-à-d commandant des milices de valeur, qui comportaient une forte proportion de guerriers hamites; tandis que dans les milices qui se composaient presqu’ exclusivement des Bahutu et ne contribuaient pas par conséquent à la formation de compagnies officielles (…), les chefs s’appelaient Amacibili et ne pouvaient avoir le privilège de l’insigne en question.
La poésie guerrière IBYIGUVO
- Coupez et Th. Kamanzi, Littérature de Cour au Rwanda, Oxford: Clarendon Press, 1970, pp.96-97
1. Présentation
Nous présentons dans ce chapitre des éloges proprement dits, des parodies et des genres annexes. Les premiers portent le nom de icyivugo, dérivé de -vug- parler incluant le classificateur réfléchi et signifiant littéralement morceau où l’on parle de soi-même, autopanégyrique. On les récite en brandissant sa lance et en hurlant à pleins poumons, comme pour impressionner l’ennemi. On s’efforce d’émettre le plus de syllabes possibles d’un seul souffle, sans tenir compte des limites des phrases. Partant d’un registre très haut, on atteint avec la limite du souffle celle de l’abaissement du son ; un bref arrêt, puis l’on repart de plus belle, et ainsi de suite. Le rythme est assonancé, avec une intensité variable selon les poètes.
L’auteur se vante sans réserve d’exploits réels ou imaginaires, dont la convention du genre admet l’exagération. Le style suit les règles générales de la poésie, outre les tournures syntactiques que nous lui avons attribuées particulièrement. Le genre est le plus humble, le moins sophistiqué des trois officiels : la compositions de parodies serait sacrilège s’il s’agissait de poésie pastorale ou dynastique. Il est d’autre part le seul à être maintenu vivant jusqu’à nos jours sous certaines formes. Par contre, sa transmission n’était pas assurée, et les morceaux disparaissaient généralement avec leur auteur. Aussi en possède-t-on peu qui soient anciens.
2. Eloges du type classique
Ce type appelé iningwa, est celui que les cadets apprennent à la cour. Leur maître les habitue à en construire, en leur imposant pour chaque exercice un des trois thèmes consacrés, arc, lance ou bouclier, sur lequel ils doivent baser les figures. Ceux qui atteignent la maîtrise se composent un morceau personnel, qui s’identifie désormais à eux et dont un extrait, de préférence les premiers mots, vaut leur nom pour les désigner. Les autres demandent l’aide d’un spécialiste réputé. A l’occasion des exploits dont s’illustre sa carrière, le guerrier retouche ses éloges. Il récite ceux-ci dans les circonstances solennelles : au combat, sur le cadavre de l’ennemi ; lors des veillées d’armes qui précèdent ou suivent les combats ; dans les exhibitions de danse guerrière. On peut aussi les dire à un bienfaiteur pour exprimer sa reconnaissance. Lors de veillées récréatives, ils sont suivis de défis. Les récits historiques en reprennent souvent des passages, tels quels ou adaptés à la syntaxe de la prose.
La partie proprement poétique du texte est suivie d’une autre, appelée ibigwi (dont le singulier ikigwi signifie lieu où l’on a tué), qui consiste en une énumération sèche et précise des victoires. Dans l’ensemble, les morceaux classiques sont assez longs et peu rythmés. Quelques-uns, sans doute les plus célèbres, nous sont parvenus spontanément à travers la vox populi…
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